Adepte de la gastronomie circulaire et soucieux d’une approche durable de l’alimentation, le chef triplement étoilé Mauro Colagreco devient parrain de SIAL Paris 2022 et ambassadeur de la campagne « Own the change »

Trois fois étoilé, son restaurant Mirazur a été le premier au monde à être certifié "zéro plastique". Son ambition, aujourd’hui ? Inspirer d'autres personnes, notamment à l’occasion de cette nouvelle édition du salon, dont il sera le parrain.

Et pour la Newsroom du SIAL, il nous parle en exclusivité de ses efforts pour éliminer le plastique de la cuisine et pour créer une gastronomie circulaire. L’avenir, tout simplement.

On constate que notre relation avec la nourriture est en train de changer. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, en tant que personnalité du monde de la gastronomie ?

Nous avons adopté notre propre approche, légèrement différente, parce que le monde a déjà changé et que nous sommes en fait déjà en retard. Aujourd'hui, les restaurants — notamment le personnel de cuisine — sont trop éloignés des êtres vivants et de la nature. Je vous donne un exemple : j’ai été invité à donner des conférences dans certaines des meilleures écoles de cuisine du monde et, pour démarrer mon intervention, je demande toujours si quelqu'un, dans la salle, sait combien de temps il faut pour faire pousser un oignon. Malheureusement, au cours des quatre dernières années, pas un seul des 20 000 étudiants que j’ai rencontrés n'a été capable de me répondre ! Pas un seul !

En tant que cuisinier, notre travail consiste, c’est vrai, à transformer ces produits, et donc, la déconnexion entre les cuisiniers et ces produits, réduits à un simple outil technique, est devenue un véritable problème aujourd'hui. Un problème, car peu de cuisiniers comprennent les différentes saisons. En bref, ils reçoivent une liste d'ingrédients, et commandent des carottes, du caviar ou du saumon… pour eux, c'est du pareil au même. Mais aujourd’hui, ça s’améliore un peu, on va dans la bonne direction. Et très clairement, des événements comme le SIAL y contribuent. C’est tant mieux, parce que pendant 30 ans, on n’a pas accordé suffisamment d'attention à la relation entre les cuisiniers et les êtres vivants.

Justement, pouvez-vous nous parler de Mirazur et de vos efforts pour faire bouger les choses ?

Si on est avant tout des restaurateurs, on s’appuie aussi sur des jardins de culture, de cinq hectares environ. Et en nous rapprochant ainsi de la nature, on a pu constater, en réel, les problèmes auxquels on est confronté aujourd'hui. C’est donc sur la base de ces observations que l’on a commencé à avancer sur l’élimination des plastiques. Et, quatre ou cinq ans plus tard, qu’est-ce qui se passe ? Nous sommes le premier restaurant au monde à être certifié sans plastique. Et tenez-vous bien, après notre ouverture en janvier 2020, l'organisation qui nous a certifiés a reçu 500 appels de restaurants et d'hôtels du monde entier !

Qu’est-ce que ça signifie ? Que nous pouvons avoir un vrai impact là-dessus ! Lorsqu’on a commencé, on ne s’intéressait qu'à notre propre consommation, au restaurant. Mais on s’est rapidement rendu compte que, même si on réduisait notre utilisation du plastique, ça n’avait pas vraiment de sens, sauf à prendre en compte l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. On a donc décidé de travailler avec nos fournisseurs et nos producteurs. Certains d’entre eux ont très vite joué le jeu, d'autres ont mis un peu plus de temps à changer leurs habitudes. Mais l'impact a été bien plus important que ce qu’on avait prévu au départ. Alors, on espère que cette initiative inspirera les participants au SIAL en leur montrant, concrètement, qu'ils peuvent eux aussi faire la différence, en s’engageant dans cette voie du changement. 

Qu’est-ce que vous entendez par gastronomie circulaire ?

Vous avez probablement déjà entendu parler de l'économie circulaire. Quand je parle de gastronomie circulaire, c’est — selon moi — la gastronomie du futur qui s'imposera d'elle-même, car il n'y a pas d'autre modèle possible. À l’image de l'économie circulaire, la gastronomie circulaire envisage les produits comme finis et non comme infinis. Je crois que nous devons adopter un système circulaire pour l’alimentation, et, pour cela, changer notre comportement, prendre conscience que les matières premières dont on dépend tous, ne sont pas infinies. Aujourd'hui, nous importons des ingrédients des quatre coins du monde, mais vous savez quoi ? Peut-être plus pour très longtemps… parce que je crois que ça pourrait bientôt être interdit.

Notre jardin produit environ 70% des fruits et légumes consommés au restaurant. Il y a toujours un surplus, de légumes, qu’on fait livrer à nos autres restaurants, mais c’est bien Mirazur qui a la priorité. En tout cas, ça crée un cercle vertueux, qui permettra, à terme, je l’espère, d’irriguer tous nos établissements.

Quelle est l'importance du rôle d'un chef dans cette transition ?

Je pense que ce rôle consiste, avant tout, à éduquer, à être un exemple pour les autres. Aujourd'hui, les habitants des pays développés passent moins de temps à cuisiner à la maison et… c’est devenu très rare de voir des ménages cuisiner comme il y a 40 ans, lorsque les mères et les grands-mères préparaient le repas pour tout le monde.

On vit en fait dans une société où ce modèle a été complètement remis en question, d’où une perte de savoir-faire et de connaissances, en matière de recettes notamment. Lorsque j'ai appris à cuisiner avec ma mère, ça n’était pas seulement pour apprendre une liste d'ingrédients ; il y avait aussi quelque chose de culturel derrière… j'ai appris à respecter les saisons et, bien sûr, l'ingrédient le plus important dans tout ça, c’est l'amour. Mais pour la génération suivante, il y a une perte d'informations et de savoir-faire et c’est là que le rôle du chef est fondamental.

Je prends souvent l'exemple de mes grands-parents qui étaient des gens modestes, qui vivaient une vie normale. Je pense qu'ils ont dû aller au restaurant une quarantaine de fois en tout et pour tout dans leur vie. Maintenant, à notre époque, il y a des gens qui mangent au restaurant 10 ou 12 fois par semaine, voire plus. Donc, par rapport à notre relation avec la nourriture, le rôle du chef est primordial. On ne doit pas être des gardiens du temple, mais plutôt des éducateurs. C’est à nous d'éduquer le grand public et les autres acteurs de l'industrie alimentaire. Et des événements comme le SIAL nous donnent l'occasion de jouer ce rôle-là.

Vous pensez qu’un événement comme le SIAL peut permettre d’avancer sur ce sujet ?

Bien sûr ! Notre partenariat avec le SIAL ou avec d'autres organisations nous permet de toucher un grand nombre de consommateurs. Ce que l’on fait au Mirazur, ce n’est pas la norme, parce qu’on cuisine pour une élite qui peut se permettre un certain prix. Et puis, on n’a que 45 couverts par service. Pour aider à faire passer le message et montrer l'exemple, j'ai également lancé une chaîne de restaurants de hamburgers appelée Carne, qui s'attaque à l'un des principaux problèmes : la consommation de viande. C'est la seule chaîne de burgers au monde à avoir reçu la certification B Corp, qui est très difficile à obtenir et qui a un triple impact - économique, social et environnemental.

Par exemple, on essaie de faire passer le message que le problème n'est pas de manger de la viande, mais le type et la quantité de viande que l’on consomme. Aujourd’hui, c’est possible de nourrir tout le monde. Chaque personne sur notre planète devrait être en mesure de bien manger — et je ne parle pas seulement d'un bol de riz. Je parle ici d'une alimentation saine, bonne pour la santé et pour l'environnement.

À vos yeux, quels sont les défis les plus importants à relever, dans la perspective du SIAL 2022 ?

Le plus grand défi sera de changer la mentalité des gens. D’ailleurs, pour obtenir la certification "sans plastique", le plus dur pour nous, ça a été de faire évoluer la mentalité de nos équipes. Même si nos équipes sont jeunes et conscientes de tous ces problèmes, il y a tellement de plastique dans nos vies que c’est difficile de réaliser ce qui doit changer. Je pense donc que le défi ne réside pas seulement dans le plastique, mais aussi dans le fait de demander aux consommateurs de changer leur comportement. Vous savez, ils peuvent très bien penser que quelque chose est plus simple sans se rendre compte, dans la réalité, de l'impact de leur consommation. C’est pour ça que des événements aussi importants que le SIAL, qui rassemblent des personnes de tous les horizons, ont vraiment un rôle à jouer.

Il y a cette phrase que j'utilise souvent : lorsqu’on réfléchit à la nourriture que l’on veut manger, on décide en fait à quoi ressemblera le monde de demain. Aujourd'hui, les gens consomment mieux, c’est vrai, mais cette idée doit vraiment faire partie de leur processus de réflexion pour qu'elle se reflète dans leurs actions quotidiennes. Le deuxième défi, je pense, c’est les méthodes de production. Mais si on parvient à changer la mentalité des consommateurs, c’est une bataille qui sera beaucoup plus facile. Sans un réel changement de mentalité, il sera impossible de transformer les méthodes de production. Toutes ces questions sont particulièrement importantes et nous allons y réfléchir et fournir des éléments de réponse, à l’occasion de ce SIAL 2022.

De nombreux producteurs ont été présents au SIAL 2022. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les producteurs avec lesquels vous travaillez ?

Nous travaillons avec des petits producteurs, qui ne sont du coup pas complètement autonomes. Ils travaillent la terre depuis des générations, on veut les aider et les protéger… surtout que pour eux, c’est compliqué, quand, par exemple, leurs enfants ne veulent pas suivre la même voie. On accorde donc une grande importance aux producteurs locaux, qui font partie de la richesse de la terre et du terroir.

Bien sûr, on se permet quelques petits luxes. On importe par exemple du vinaigre balsamique de Modène et du parmesan. Mais pas de fruits exotiques. Pour tout vous dire, nous avons nos propres bananes, fruits du dragon et mangues, parce qu'avec le changement climatique, notre terroir change. On a donc planté des arbres qui peuvent supporter des climats plus chauds et plus secs. On a également lancé comme initiative "Planter un arbre au Mirazur". Pour un prix minimum de 25 €, les gens peuvent planter un arbre qui leur appartient ensuite à vie. Et ils peuvent venir le visiter avec leurs enfants pour goûter les fruits.

Pour finir, j’ai envie de vous dire que je suis vraiment très curieux — et enthousiaste — à l’idée de rencontrer d’autres personnes du secteur de l’alimentation, sur SIAL Paris 2022, histoire d'en savoir plus sur d’autres initiatives et sur les évolutions en cours

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